Après avoir tenu cet automne la consultation Equally Safe afin de prévenir les violences faites aux femmes, l’Écosse refuse de décriminaliser entièrement la prostitution en proposant un modèle désapprouvé des travailleuses du sexe.
Le 10 décembre dernier a marqué la fin de la consultation Equally Safe (Aussi en sécurité). Sa mission de réduire les méfaits associés à la prostitution a orienté quatre approches proposées au public, qui pouvait ensuite donner son avis par rapport à celles-ci. N’ayant pas considéré la décriminalisation complète comme l’une de ces options, la consultation a été fortement critiquée, particulièrement par les communautés de travailleuses du sexe, qui ont dénoncé un manque de compréhension quant à la réalité de l’industrie.
Prerna Menon, coordonnatrice d’Umbrella Lane, une organisation soutenant les travailleuses du sexe en Écosse, trouve « insensé » que le gouvernement n’ait consulté ni celles-ci, ni des organisations qui leur viennent en aide.
Une issue prévisible
Mme Menon affirme que le Royaume-Uni a une vision assez négative du travail du sexe et qu’une décriminalisation entière semble trop progressiste pour le gouvernement écossais, dirigé par le Parti national écossais (SPN). Toutefois, le parti des Libéraux-démocrates et le Parti vert sont en faveur d’une décriminalisation complète. « Dans le futur, on pourrait [l’]obtenir, mais c’est une grosse étape », affirme la coordonnatrice d’Umbrella Lane. Actuellement, c’est uniquement la Nouvelle-Zélande, considérée par l’organisme comme un modèle, qui décriminalise entièrement le travail du sexe.
Par ailleurs, l’autodétermination et l’autonomie sont des concepts souvent perçus comme incompatibles avec la prostitution. Amélie Bouchard, sexologue spécialiste en thérapie des travailleuses du sexe, souligne d’ailleurs que l’on considère trop souvent celles-ci comme des victimes.
C’est donc sans surprise que la coordonnatrice d'Umbrella Lane a pris connaissance de la consultation, mais elle reste déçue de son issue et du contexte de son exécution : « Elle a seulement duré deux mois, ce qui est extrêmement court pour un tel projet », déplore-t-elle.
Transition vers un nouveau modèle
Actuellement, la législation écossaise permet la vente ou l’achat de services de prostitution, même si leur sollicitation publique est interdite. Equally Safe encourage un passage au modèle nordique, qui vise à réduire la demande de prostitution en criminalisant le client qui y a recours. Introduite pour la première fois en Suède en 1999, cette approche a été adoptée au Canada quinze ans plus tard.
Cependant, Mme Menon estime que criminaliser le client, et non la travailleuse, donne tout le pouvoir à celui-ci.
« On préférerait que rien ne change plutôt que de passer au modèle nordique », soutient-elle.
En effet, la réduction du nombre de clients de la travailleuse la rendrait plus susceptible d’accepter des circonstances risquées ou dangereuses pour continuer d’avoir des revenus.
Amélie Bouchard dénonce également le modèle privilégié par Equally Safe, soulignant qu’il existe un malaise social avec la sexualité et la pensée que les femmes s’y dirigent par choix, mais également une crainte de faciliter l’exploitation sexuelle. « C’est comme si le gouvernement était sur une corde raide », estime-t-elle.
Pour Karine Côté, professeure en psychologie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et chercheuse dans le milieu de l’industrie du sexe, les répercussions positives et négatives existent dans chacune des approches de législation de la prostitution. Même s’il est complexe de trouver un terrain d’entente dans un enjeu aussi polarisant, « tout le monde a quelque chose en commun, soit de vouloir aider [les travailleuses du sexe] », estime-t-elle.
Un milieu encore incompris
Mme Menon croit fermement que la consultation n’aidera pas les travailleuses du sexe, et cette opinion est assez unanime dans les autres organisations au pays. « Dès que l’enjeu a été soulevé, on a organisé des colloques et on s’est mobilisées », dit-elle. Elle affirme que le gouvernement écossais était impressionné de constater que la communauté était aussi organisée et persistante.
Pour sa part, Mme Côté estime qu’une présence accrue d’organismes et de campagnes de sensibilisation dans les médias ainsi que de l’éducation préventive dans les écoles pourrait enlever le stigmate de ce milieu souvent tabou. « Si on en parlait plus, les gens seraient plus portés à y réfléchir et à réévaluer leurs perceptions », pense également Amélie Bouchard.
La consultation est terminée, mais la suite est incertaine. Bien qu’Equally Safe tende à imposer le modèle nordique, la loi écossaise n’empruntera pas forcément cette direction. « Récemment, on a obtenu une importante visibilité par la presse, beaucoup de gens changent d’avis », affirme la coordonnatrice d’Umbrella Lane, qui implore le gouvernement écossais de commencer une fois pour toutes à écouter les femmes impliquées.
Crédit-photo: Édouard Desroches