Depuis déjà plusieurs décennies, des activistes autochtones luttent pour faire entendre leur voix. En 2020, des mouvements antiracistes ont vu le jour, poussant plusieurs équipes sportives à réfléchir quant à l'avenir de leur nom, logo ou mascotte.
Milla Bacon Moreau, une joueuse de volleyball innue, juge qu'il était temps que le milieu sportif se montre plus inclusif. Elle ne compte plus les fois où elle s'est sentie diminuée en raison de ses origines. « On m'appelait Pocahontas, on me disait d'aller lancer des flèches. [...] Les pires, ce sont les joueurs de hockey. Quand il n'y a pas d'arbitres, je me fais traiter de sauvage, ils me disent que je suis sale. Ils sont plus intenses dans leur propos », confie-t-elle.
Rappelons qu'en 2020, plusieurs équipes sportives comme les Redskins de Washington, les Indians de Cleveland ou les Eskimos d’Edmonton ont décidé d’agir et de changer d'identité. Pour les membres des Premières Nations, des termes comme « Peaux Rouges », « Indiens » ou « Eskimos » sont jugés racistes et inacceptables.
Milla se dit préoccupée par la signification que l'on donne à ces termes réducteurs. Pour elle, ces images et ces noms ne sont pas symbole de fierté autochtone, comme le défendent certaines équipes, mais contribuent à renforcer les stéréotypes dont ces communautés cherchent à se débarrasser.
Même si elle ne pense pas que les équipes aient déjà été mal intentionnées, elle est heureuse de ce changement de mentalité. « À l'époque, c'était de l'ignorance. Aujourd'hui, les gens se réveillent. Ils se rendent compte qu'il faut changer ces noms-là pour qu'il y ait une certaine guérison pour les membres des Premières Nations », explique Milla.
Des nations réduites à des mascottes
Après plusieurs années de recherche, la doctorante en psychologie et originaire de la réserve autochtone de Tulalip dans l’État de Washington a conclu que les membres des Premières Nations ne retiraient aucun bénéfice à être utilisés comme mascottes pour des équipes sportives. Selon ses études, cela minerait plutôt leur estime personnelle et augmenterait les risques de dépression et de suicide.
« À l'époque, c'était de l'ignorance. Aujourd'hui, les gens se réveillent. Ils se rendent compte qu'il faut changer ces noms-là pour qu'il y ait une certaine guérison pour les membres des Premières Nations. » - Milla Bacon Moreau
Après des années de débat, elle a été soulagée d'apprendre le changement identitaire des Redskins, l'été dernier. « C'est révoltant que la mascotte de la capitale d'une des plus grandes puissances au monde représente une insulte à toute une nation », déclare-t-elle.
« Les autochtones sont bel et bien présents », ajoute la psychologue. « Nous voulons faire entendre nos voix, faire comprendre qu'on ne veut pas être vu comme des mascottes, mais comme des gens normaux qui contribuent à la société ».
Un vent de changement
Le professeur et sociologue à HEC Montréal, Sébastien Arcand, pense que la fin justifie les moyens. « Que ce soit parce qu'ils faisaient moins d'argent ou pour des raisons plus morales, ils ont fini par comprendre qu'il fallait changer de nom. En bout de ligne, l'idée est d'éliminer le plus possible les références à des clichés et à des caricatures [...] qui encouragent la méfiance », explique-t-il.
L'enseignante en marketing du sport à HEC Montréal, Geneviève Harbec, affirme que ce mouvement est un « processus sain » qui encourage le changement. « Ça ne passerait plus aujourd'hui de dessiner l'image d'un “indien” avec des plumes et du maquillage, ou d’un “Eskimo” à côté d'un igloo. De la même façon, ça ne passe pas de dessiner une personne afro-américaine avec de grosses lèvres et un gros nez », termine-t-elle.
Ouvrir la discussion
L'ancien vice-président de l'Impact de Montréal ― maintenant devenu le Club de Foot Montréal ―, Richard Legendre, se dit touché par la vague de changements identitaires des équipes sportives. Pour lui, il est certain que certains noms devaient être modifiés parce qu'ils sont dépassés ou racistes. Par contre, il pense qu'il peut y avoir place pour le dialogue dans certains cas. « C'est bien beau de vouloir éliminer les noms, mais s'il n'y a pas de rapprochements, je ne trouve pas que ça dessert bien notre collectivité », témoigne-t-il.
Il donne l'exemple de son université, la Florida State University, dont l'équipe de football porte le nom d'une communauté autochtone de Floride, les « Seminoles ». Plus tôt cette année, l'équipe a fait preuve d'ouverture en collaborant avec cette communauté plutôt que de changer leur nom. De la même manière, l'équipe de baseball des Spokane Indians a établi en 2006 un partenariat avec la communauté autochtone du même nom. À l'entrée du stade, on peut voir des affiches relatant l'histoire des autochtones et la façon dont, il y a plusieurs années, le stade avait été bâti sur des terres qu'on leur avait prises.
« Le mouvement qu'on voit depuis les deux dernières années, il est sain, parce qu'il amène soit une correction, soit un dialogue », conclut Richard Legendre.
Illustration : Édouard Desroches