À l’aide de l’intelligence artificielle (IA), et grâce aux avancées technologiques des dernières années, de jeunes entreprises ont mis au point une nouvelle génération de prothèses. Pourtant, bien que ces prothèses soient prometteuses, il reste des questions à élucider, notamment quant à l’accessibilité et l’éthique.
Mohamed Dhaouafi, directeur général de l’entreprise tunisienne Cure Bionics, et Matteo Laffranchi, coordinateur de la robotique du laboratoire Rehab Technologies à Gênes en Italie, ont tous deux participé à la création de prothèses de mains fonctionnant à l’aide de l’IA.
Jeune entrepreneur, M. Dhaouafi a développé, grâce à une imprimante 3D, une prothèse myoélectrique. Les impulsions électriques des muscles permettent la contraction ou la relaxation de la main robotisée. Ici, l’IA s’occupe de détecter les impulsions musculaires indépendamment des utilisateurs et utilisatrices. « On a tous des morphologies différentes, et donc des impulsions différentes. L’IA nous aide à faire cette sélection intelligente », explique-t-il.
M. Laffranchi a, quant à lui, coordonné la mise au point de la prothèse Hannes, en développement depuis 2013. Celle-ci est munie d’un capteur EMG (électromyogramme) qui détecte l’activité musculaire résiduelle du moignon afin d’actionner la main bionique. L’algorithme employé met en œuvre, à la manière d’un vrai membre, un contrôle proportionnel et régule la vitesse en fonction de l’activité musculaire du porteur ou de la porteuse. « Un membre qui fonctionne avec des algorithmes de contrôle avancés est beaucoup plus polyvalent et fonctionnel [qu’un vrai membre] », précise-t-il.
L’éthique remise en question
Même si, grâce à l’IA, les prothèses s’adaptent mieux aux besoins de chaque personne et ne nécessitent pas d’intervention chirurgicale, l’utilisation de prothèses dotées de cette technologie soulève plusieurs questions d’ordre éthique.
Pour Sylvain Auclair, enseignant de philosophie à l’Université Laval et candidat au doctorat en éthique de l’IA, « il est légitime de se questionner sur les fins poursuivies ainsi que sur les limites acceptables. » Selon lui, la poursuite du projet transhumaniste, projet qui considère l’humain comme un hybride avec la machine, pourrait mener à dévaloriser les personnes vivant avec un handicap.
Cependant, selon Matthew Toews, docteur en génie électrique et informatique à l’École de technologie supérieure (ÉTS), les gens devraient se sentir plus à l’aise et plus forts avec les prothèses fonctionnant avec l’IA, compte tenu de leur facilité d’utilisation.
Pour lui, l’humain peut apprendre à contrôler une prothèse dans le même esprit qu’un ou une enfant apprend à écrire ou à manger. « D’une certaine façon, c’est ce qui s’apparente à une fourchette très sophistiquée », fait-il remarquer.
Il pense que l’on doit combler le manque de contrôle des prothèses classiques par l’IA afin que les personnes puissent manipuler plus facilement des objets de la vie quotidienne. « L’IA peut aider à fournir une interface de contrôle intuitive et agréable, compte tenu des entrées et sorties de l’humain [muscle, sens] », explique-t-il.
Encore du travail à faire
Au-delà des avancées technologiques, il reste des points encore problématiques. Selon Matthew Toews de l’ÉTS, les trois problèmes majeurs sont: la consommation d’énergie, car ces appareils ont besoin de piles ou de prises pour les recharger, l’infection si l’implantation chirurgicale est nécessaire, et la perte de contrôle de la prothèse.
De son côté, M. Laffranchi croit que le poids est l’inconvénient majeur de la prothèse Hannes. Son invention utilise des moteurs électriques et des structures métalliques qui alourdissent la prothèse. Jusqu’à ce qu’il y ait une innovation dans les matériaux, le poids restera le même. Second inconvénient que le coordinateur de Rehab Technologies relève : le taux de rejet médical est encore élevé. « Environ un utilisateur sur trois à quatre rejette la prothèse », conclut-il.
Pour Allison Lang, née sans la moitié inférieure de sa jambe, bon nombre d’améliorations pourraient être apportées à ses prothèses qui ne fonctionnent pas avec l’IA. Elle explique qu’il est très dur de trouver une prothèse adaptée à son style de vie actif. « J’aimerais avoir une jambe qui est à la fois bonne pour la randonnée et que je peux porter dans l’eau, mais au lieu de ça, je dois mettre une jambe supplémentaire dans mon sac partout où je vais », déplore-t-elle.
Mme Lang ajoute qu’elle voudrait aussi plus de flexibilité dans ses pieds prothétiques. Cela lui permettrait d’avoir un meilleur équilibre et lui éviterait des maux de dos. Cependant elle garde espoir. Pour elle, les prothèses IA donneraient une plus grande liberté aux utilisateurs et utilisatrices.
Crédit-illustration: Édouard Desroches