Le 25 septembre dernier a été diffusé le premier épisode de la nouvelle série philippine Gaya Sa Pelikula. Si la comédie romantique met en scène deux garçons obligés de cohabiter, la réalité aux Philippines est tout autre.
Écrite par Juan Miguel Severo et produite par Globe Studios sous la direction de Jaime Habac Jr, cette série raconte l’histoire de Karl, étudiant en architecture en pleine crise d’identité et Vladimir, jeune adulte appartenant à la communauté LGBTQ+I fuyant sa famille.
« Longue vie aux personnes gays aux Philippines […] J’étais gay […] je suis guéri » déclarait en 2019 Rodrigo Duterte, président de la République des Philippines, lors d’une conférence au Japon. Paradoxales, ces phrases illustrent la relation complexe entre le système politique et la communauté LGBTQ+I aux Philippines. D’ailleurs, si Duterte disait être pour la légalisation du mariage entre personnes de même sexe avant son mandat, il a depuis changé de position.
Signataires depuis 2014 de la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies condamnant les discriminations et les violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, les Philippines ont également ratifié plusieurs autres pactes et conventions internationales. Pourtant, les membres de la communauté LGBTQ+I subissent encore des discriminations au quotidien. Le 28 octobre dernier, le maire de Manille, Isko Moreno, a rejoint Quezon City et d’autres villes en signant une ordonnance sur la protection des personnes LGBTQ+I. C’est une avancée dans un pays qui ne possède pas encore de loi fédérale pour lutter contre ces discriminations.
Une croyance qui influence
Les Philippins sont très croyants. Selon un rapport français réalisé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2018, sur 107 millions d’habitants, le pays compte environ 90% de chrétiens parmi lesquels 80% sont catholiques. L’Église catholique, très hostile, a contribué, d’après le rapport, à renforcer les inégalités vécues par les membres de la communauté.
Cependant, l’opinion publique semble peu à peu changer. C’est ce que dit *Kurt, un jeune Philippin qui a préféré garder l’anonymat par peur d’ostracisation sociale et familiale : « Venant d’un pays chrétien, je constate que certains Philippins sont plus sensibles et acceptent [davantage] les droits LGBT par rapport aux décennies précédentes.»
L’ascension fulgurante de la représentation dans les médias et plateformes
En parallèle, la représentation médiatique et culturelle semble prendre de l’ampleur. Ces dernières années, des médias, des journaux, des films et des séries en faveur de la communauté se sont multipliés. Une réalité qui s’explique par le changement des modes de distributions selon Juan Miguel Severo, créateur de la série Gaya Sa Pelikula diffusée sur YouTube. « Les grandes entreprises médiatiques ne sont pas vraiment désireuses de présenter des histoires queers. YouTube est disponible pour tout le monde. Il y a désormais un marché en hausse pour ces séries, puisque nous le saturons lentement. »
Un nouveau genre est apparu ces dernières années : BL ou Boys’ Love (Yaoi) dont Gaya Sa Pelikula fait partie. Selon Kurt, il permet de réunir les spectateurs et spectatrices: « Depuis l’ascension du genre BL, graduellement, certains Philippins acceptent et savent que certains téléspectateurs ne sont pas membres LGBTQ+I. Cela fait chaud au cœur que ce genre soit reconnu non seulement par les Philippins, mais aussi par le monde entier. »
La série n’aura pas eu à prouver son succès, comme l’explique Kren Yap, un de ses producteurs:
« Nous avons déjà atteint le million [de téléspectateurs] pour le premier épisode et cela en dit long pour nous, car il y a beaucoup de séries BL qui sortent en trois mois. Cela signifie que nous racontons bien notre histoire et que nous touchons le cœur et la vie de beaucoup de gens. »
Une aide et un but précieux
L’augmentation de la représentativité des personnes LGBTQ+I sur la scène culturelle a été bénéfique. « Ces plateformes sont basées sur les expériences de la communauté, explique Kurt. La série montre les conflits entre les familles, les amis et la société et aussi la lutte pour découvrir notre identité. [...] Les Philippins apprennent que les LGBTQ+I font partie de la collectivité et qu'ils ne sont pas différents des autres sexes.»
C’est également l’occasion pour Kren Yap de montrer que « normaliser les amours queers n'est pas seulement pour les queers. C'est un thème universel auquel tout le monde peut s'identifier! »
La série a su conquérir le cœur des téléspectateurs du monde entier, se révélant être une aide précieuse. Malgré le contexte social, religieux et politique, la série trouve sa place aux Philippines et les opinions changent progressivement.
*nom fictif
Illustration par Ariane Dupuis