En transformant des armes tactiques ayant servi dans les guerres de l’ex-Yougoslavie en instruments de musique, le sculpteur serbe Nikola Macura entreprend de former un orchestre entièrement composé d’équipement militaire.
« Il y a 6 ans, j’ai décidé de créer de l’art en utilisant l’équipement militaire de la guerre », explique Nikola Makura, diplômé de l’Académie des arts de Novi Sad. « C’est très important pour moi de faire de l’art qui aura un impact sur la société ». Le but de son projet, nommé From noise to sound, consiste à se réapproprier la symbolique de l’arme pour en faire le vecteur d’une force artistique plutôt que d’une énergie meurtrière.
Ouvrir un dialogue par la musique
L’ambition du projet From noise to sound est de changer le rôle de l’arme pour en faire un symbole antimilitariste. La première étape a donc été de rendre l’objet capable de créer un son déterminé, sans qu’il ait a priori de prétention musicale.
« Je ne suis pas musicien… C’est seulement après avoir réussi à rendre des objets capables de provoquer un son quelconque que des musiciens et moi avons décidé d’en faire un projet musical. » - Nikola Macura.
Ainsi, c’est une fois les instruments créés que l'idée de monter un orchestre, formé de musiciens qui proviennent des différents pays en guerre dans les années 1990, a vu le jour pour incarner un message de paix et de cohésion.
Plusieurs guerres ont déchiré l'ex-Yougoslavie entre 1990 et 2000. La Serbie entre en guerre avec la Croatie en 1990, et ensuite avec la Bosnie-Herzégovine en 1992, causant la mort de 100 000 personnes. La guerre sera marquée par un génocide des Musulmans, exécuté par les Serbes: « La Croatie était composée de 12 à 13% de Serbes alors qu’en Bosnie-Herzégovine on parle de 30%. La Serbie voulait amputer les territoires dominés par des Serbes dans des sols “étrangers” en modifiant les frontières des républiques », explique le professeur titulaire de relations internationales au Département des sciences historiques de l'Université Laval, Renéo Lukic.
Modifier le symbole
Il est capital pour le sculpteur de changer les couleurs des armes afin de les dissocier complètement de leur fonction première, soit celle de tuer, sans toutefois les défigurer. « Le langage visuel, qui comprend la forme et la couleur de l’objet, est un élément très important pour moi », fait savoir Nikola Macura. En conséquence, chaque objet sera dénué de ses couleurs verdâtres, relatives au thème de la guerre, mais devra conserver sa forme organique.
Pour Nikola Makura, saxophoniste et ami du sculpteur serbe, qui porte le même nom, jouer de ces instruments provoque chez lui des « émotions mixtes ». « Je ressens un mélange de joie et de tristesse. Ces armes servaient à tuer », décrit-il.
Après avoir complété son orchestre, le sculpteur Nikola Macura prévoit partir en tournée dans les pays qui formaient la Yougoslavie afin d’ « envoyer un message de paix ». « Je veux leur présenter, avec mon orchestre, un discours différent et plus pacifique. J’aimerais ensuite présenter mon projet partout à travers le monde. »
Dissonance avec l’ancienne mentalité
L’hymne à la paix chanté par l’orchestre de Macura ne plaît cependant pas à tout le monde. Selon le vidéaste et responsable des médias et de la promotion du projet, Vojin Ivkov, les réactions du public sont mitigées. La mémoire collective des pays impliqués dans le conflit ne se serait pas encore remise du choc de la guerre. « Le message de paix est généralement désapprouvé ici. C’est très dur de tenir un discours pacifique et unificateur dans un territoire aussi divisé… Tout le monde a son opinion sur la guerre », remarque-t-il. La ville de Novi Sad, où le sculpteur a grandi et étudié, n’a jamais eu de conflit sur son territoire.
La cacophonie des guerres de l’ex-Yougoslavie
Quatre des six républiques de l’ex-Yougoslavie, soit celles de la Slovénie, de la Croatie, de la Macédoine et de la Bosnie-Herzégovine, ont chacune déclaré leur indépendance entre 1991 et 1992. La souveraineté de ces pays était vue d'un mauvais œil par la diaspora serbe et par la Serbie elle-même.
Renéo Lukic rapporte que la guerre de Bosnie-Herzégovine prit fin grâce à la signature des accords de Dayton en 1995 qui « reconnaissent que la Bosnie-Herzégovine est un État indépendant fédéral composé de la République serbe de Bosnie ».
Aujourd’hui, les tensions sont de plus en plus importantes dans la région. Selon M. Lukic, « il y a un clivage entre les « anciens » de la guerre et les gens comme Nikola Macura qui essaient de s’en détacher et de démilitariser la société ».
Photo : Nikola Macura