Des scientifiques en agroalimentaire ont conçu une protéine à base de cellules animales cultivée en laboratoire. Ces derniers se félicitent du fait qu’aucun animal n'ait été blessé ou tué lors de son processus de fabrication, mais le processus de cette viande dite « plus éthique » divise les spécialistes. Étant toujours à l’étude, la date de mise en marché en Amérique n’est pas fixée.
Le directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire à l'Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, décrit ce procédé comme l’art de nourrir des cellules dans un bioréacteur, un appareil utilisé pour multiplier des micros-organismes. Au lieu de nourrir des animaux de ferme, on nourrit des cellules. Celles-ci sont alimentées avec des acides aminés, des acides gras, des sucres, des oligo-éléments, des sels et des vitamines. Ces cellules proviennent de n’importe quelle partie de l’animal: le sang, la salive ou même une plume. Tout ce dont ils ont besoin, c’est de la cellule. Aucun animal n'est blessé lors de cette manœuvre.
Selon M. Charlebois, les spécialistes peuvent donner à la protéine animale la forme qu’ils veulent selon la demande. « Dans la production ordinaire, si le marché a besoin de moins d'ailes de poulet, on les jette. Mais dans la production de viande en laboratoire, on peut faire du sur-mesure», explique t-il.
Jouer avec les mots
« On utilise différents noms, mais finalement, on dit que c'est de la viande cultivée. Ce sont aussi des manières de jouer sur l'étymologie des mots pour, au final, trouver des termes qui sont plus acceptables pour les consommateurs », dénonce le conseiller en pratiques écoresponsables, durables et circulaires, Jean-David Perron. Ayant fait son travail de maîtrise sur la viande cultivée en laboratoire, il a remarqué que l’industrie maquillait le nom de cette viande pour la rendre plus attrayante.
Choisir un nom pour cette viande a fait débat: il y a deux ans, les professionnels changeaient d’avis tous les deux mois. D’après M. Perron, « le produit n'est même pas encore sorti, [mais] on se concentre tellement sur [le marketing] ». Il rapporte également que, selon lui, les Québécois seraient plus tentés de manger des insectes que de la viande créée en laboratoire.
Une solution environnementale controversée
L’une des raisons pour lesquelles plusieurs personnes retirent la viande de leur régime alimentaire est en raison de l’environnement. M. Charlebois assure qu’une production de viande en laboratoire pollue beaucoup moins qu’un élevage régulier.
D’un autre côté, M. Perron dénonce les études liées à ce sujet. Les professionnels se sont basés sur des prototypes de création pour affirmer ces hypothèses reliées à l’environnement.
En effet, il explique que les études sur le sujet affirment que la viande cultivée en laboratoire réduira de 99% les gaz à effet de serre causés par l’industrie de la viande. Puisque ce produit n’est toujours pas commercialisé à grande échelle, cette théorie se base sur des projections faites sur des prototypes.
M. Perron explique que lorsque cette technologie sera sur le marché mondial, le besoin de viandes régulières ne sera plus aussi grand, ce qui prêtera main forte à l’environnement. Par exemple, avec moins de vaches élevées pour la consommation, beaucoup moins de méthane ne sera émis. Par contre, ce gaz sera remplacé par de l’énergie nécessaire à la fabrication en laboratoire. « Si on est au Québec et qu'on fait ça dans des bioréacteurs, on a de l'électricité qui est relativement à faible impact. Par contre, si l'électricité est faite, par exemple, avec un mélange de charbon et de pétrole, bien là, on a davantage d'impacts », explique-t-il.
Singapour répond déjà à l’appel
Bien que la mise en marché ne soit pas immédiate au Canada, Singapour accueille déjà sur leurs tablettes cette viande produite en laboratoire. M. Charlebois explique que là-bas, le gouvernement veut qu’au moins 30% de tous types de viandes consommées soit produites localement. Il n’y a pas l’espace nécessaire pour la production animale régulière. Ainsi, les laboratoires de viandes cultivées deviennent en quelque sorte des fermes. En comparaison avec Singapour, la mise en marché n’est pas aussi pressante au Canada, qui a plus d’espace pour produire de la viande locale.
En commençant son mémoire, Jean-David Perron avait de l’espoir pour cette technologie alimentaire. En avançant ses recherches, il s’est ouvert à un point de vue contraire à ce qu'il pensait.
« On reste dans un paradigme capitaliste où il faut continuer de produire de la viande parce que le consommateur en veut », a-t-il expliqué en mentionnant que ces compagnies font cette viande cultivée en laboratoire plutôt que d’encourager les consommateurs à changer leurs habitudes de vie, tel qu’adopter un régime végétarien.
Illustration: Marie Senécal