L’inclusion des e-sports comme sports de démonstration aux Jeux de Tokyo tente d’attirer une audience nouvelle vers les téléviseurs tout en offrant une riposte aux récentes critiques faites aux événements olympiques en termes d’infrastructures et de crises humanitaires. Cependant, elle risque d’aliéner les athlètes pratiquant des disciplines déjà intégrées aux Jeux.
Des Olympiens semblent ouverts à la possibilité de voir un jour les e-sports aux Jeux, mais sous certaines réserves. C’est le cas du quintuple médaillé aux Jeux panaméricains et participant aux Jeux de Rio en escrime, Joseph Polossifakis. « Il faut que leur intégration se fasse plus graduellement, affirme-t-il. Je suis en désaccord avec la possibilité que les e-sports soient intégrés aux Jeux avant d’autres disciplines qui attendent leur tour depuis beaucoup plus longtemps. »
La capitaine de l’équipe nationale canadienne de waterpolo féminin, Joelle Bekhazi, donne comme exemple le sport qu’elle pratique depuis son enfance. Elle mentionne que le waterpolo masculin est une discipline olympique depuis 1900, mais que le volet féminin a seulement été intégré à Sydney en 2000. « Pourquoi est-ce que mon sport a dû attendre 100 ans alors que les e-sports seraient intégrés quasiment immédiatement? »
Menace à l’esprit des Jeux
Son époux Étienne Lalonde, escrimeur également médaillé des Jeux panaméricains et Olympien à Londres en 2012, se désole quant à lui de la disparition de l'esprit original de l'évènement. Selon lui, l’intégration des e-sports aux Jeux implique une transition d’une proposition symbolique à une proposition économique des Olympiques : « Pourquoi verrait-on les e-sports aux Jeux plutôt que le tchoukball? C’est simplement une question d’argent », croit-t-il en expliquant qu’on est loin des « Jeux de Pierre de Coubertin », le fondateur des Jeux olympiques modernes.
Une participation aux Jeux olympiques est l’aboutissement d’un travail acharné s’étalant sur des décennies. Innombrables sont les athlètes ayant sacrifié des aspects de leur vie pour s’impliquer dans la communauté olympique. L’ancien entraîneur national d’escrime et maintenant directeur du Programme de la Haute Performance d’Escrime Canada, Benjamin Manano, affirme qu’il est nécessaire de conserver cet aspect original des Jeux. « Les valeurs traditionnelles de l’olympisme ne répondent pas aux principes économiques actuels du CIO. Ces valeurs devraient être indélébiles dans la tapisserie olympique. »
M. Manano comprend cependant le besoin d’intégrer les sports électroniques pour dynamiser la formule actuelle des Jeux. Les Olympiques voient en effet une diminution importante et constante du nombre d’individus qui les consomment tous les deux ans. D’une moyenne de 43,2 millions de téléspectateurs et de téléspectatrices par jour en 1994, ils sont passés à 20,2 millions par jour en 2018 selon une étude de Sports Media Watch. Par contre, M. Manano estime qu’« [il] ne suffit pas de courir après des spectateurs. L’objectif des Olympiques est tout autre, et l’addition des e-sports aux Jeux va à l’encontre des idéaux fondamentaux de leur créateur et des athlètes qui poursuivent le rêve olympique depuis déjà plus d’un siècle » .
Photo par Laetitia Arnaud-Sicari